Hergé : Une fabrique de l'universel à (re)découvrir au Grand PalaisHergé : Une fabrique de l'universel à (re)découvrir au Grand Palais

"Une fabrique de l'universel", l'expression est de Jérôme Neutres, commissaire avec Sophie Tchang de l'exposition évènement dédiée à Hergé, génial inventeur de Tintin, qui se poursuit au Grand Palais jusqu'au 15 janvier 2017. Proposée par la Rmn (Réunion des musées nationaux)-Grand Palais, elle a été réalisée en collaboration avec le Musée Hergé de Louvain-la-Neuve près de Bruxelles, géré par la société Moulinsart de Fanny (seconde épouse d'Hergé) et Nick Rodwell. Elle rassemble 175 œuvres du dessinateur, et 21 œuvres d'artistes contemporains, que complètent de nombreux documents (photographies, lettres, objets, films...).


Le succès de l'œuvre laissée à la postérité par Hergé, de son vrai nom Georges Rémi, donnerait presque le vertige. Les Aventures de Tintin, ce sont vingt-quatre albums traduits dans une centaine de langues et vendus à plus de 250 millions d'exemplaires. Leur caractère intemporel et universel ne cesse de fasciner. "Nous avons tous quelque chose de Tintin", résume Jérôme Neutres dans le catalogue de l'exposition Hergé (Coéd. Rmn-Grand Palais / Moulinsart, Paris 2016). Le dessinateur a réussi le tour de force d'imaginer un monde, à côté du réel, dans lequel le lecteur de 7 à 77 ans, quelle que soit sa culture d'origine, est en mesure de se projeter.

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Georges Rémi naît à Bruxelles le 22 mai 1907. Son père, Alexis, est employé dans une maison de confection, sa mère Élisabeth s'occupe de ses deux fils. Georges a un frère de cinq ans son cadet. Il se met très tôt au dessin. Excellent élève en classe, il entre dans la troupe scoute de son collège en 1921 sous le totem de "Renard curieux". Il s'ouvre ainsi sur les autres et le monde, emportant partout avec lui son carnet de croquis. Ses premiers dessins sont publiés dans des revues scoutes. À partir de 1924, ils sont signés "Hergé".

 

En 1925, après ses études, le quotidien belge catholique Le Vingtième Siècle l'engage comme employé au Service des abonnements. Il est nommé en 1928 rédacteur en chef du Petit Vingtième, le supplément hebdomadaire pour la jeunesse du journal. C'est entre ses pages que naissent Tintin et Milou le 10 janvier 1929. Quick et Flupke voient le jour l'année suivante.

 

Casterman devient l'éditeur officiel des Aventures de Tintin en 1934. La même année, Hergé fait une rencontre capitale, celle de Tchang Tchong-jen (1907-1998), un jeune Chinois, étudiant aux Beaux-Arts, qui lui donne accès à la culture de son pays et s'implique dans la réalisation du Lotus bleu, album qui marque en 1936 un tournant dans le travail d'Hergé en matière de maîtrise artistique.

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À partir de 1942, Les Aventures de Tintin seront publiées dans des albums standards de 62 pages, en couleurs. Les éditions Casterman demandent à Hergé d'adapter dans ce format les histoires déjà parues. Le travail est colossal, d'autant qu'Hergé décide d'en redessiner certaines complètement : Tintin au Congo, Tintin en Amérique et Les Cigares du Pharaon. D'abord assisté par Edgar P. Jacobs (Blake et Mortimer), il crée en 1950 les Studios Hergé et s'entoure d'une dizaine de collaborateurs de talent : Bob de Moor, Jacques Martin (Alix et Lefranc), Roger Leloup, Baudoin Van der Branden...

 

Pourtant, comme le souligne Benoît Mouchartdirecteur éditorial en charge de la bande dessinée chez Casterman, "S'il a nourri ses histoires d'apports extérieurs, Hergé est toujours resté l'unique auteur de chacun de ses livres, à l'instar des plus grands metteurs en scène de cinéma, voire de certains artistes contemporains qu'il admirait, tel Andy Warhol" (Hergé, Coéd. Rmn-Grand Palais / Moulinsart, Paris 2016).

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Autodidacte, Hergé est avant tout un formidable raconteur d'histoires. Il met son talent graphique au service d'une narration qu'il souhaite la plus lisible possible. Inspiré par le cinéma muet ou des prédécesseurs comme Benjamin Rabier et George McManus, il n'en a pas moins inventé un style qui lui vaut d'être considéré comme le père de la bande dessinée moderne. C'est la fameuse "ligne claire", selon l'expression du graphiste hollandais Joost Swarte dans les années soixante-dix. Mais, comme en témoignent les crayonnés visibles dans l'exposition, le dessinateur fait preuve d'une application acharnée afin d'obtenir ce résultat épuré : "Et je crayonne, et je rature, et je gomme, et je recommence jusqu'à ce que je sois satisfait. Mais, il m'arrive de percer le papier à force de retravailler un personnage !" explique-t-il.

En authentique metteur en scène, maîtrisant parfaitement les spécificité du medium bande dessinée, il choisit avec soin ses cadrages et le découpage de ses planches pour que le moindre détail fasse sens et maintienne l'intérêt du lecteur. La restitution du mouvement est au cœur de son travail, quitte à ce que "l'illusion de vie" (L'Escholier, mars 1952 - Entretien avec Alexis Hennebert) l'emporte sur les aspects esthétiques.

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Grand observateur du réel, Hergé est aussi amateur et collectionneur d'art. Il s'essaie lui-même à la peinture dans les années 60 ; quelques-unes de ses toiles sont exposées au Grand Palais. Les arts primitifs le passionnent autant que l'avant-garde de son époque : Andy Warhol (qui réalise son portrait en 1977), Roy Lichtenstein, Paul Klee ou Jean Dubuffet. La question de l'art traverse d'ailleurs l'œuvre d'Hergé jusqu'à Tintin et l'Alph-Art (Ed. Casterman), histoire laissée inachevée par sa mort le 3 mars 1983, dans laquelle son héros est aux prises avec des faussaires.

La recherche de simplicité matérialisée par la ligne claire d'Hergé se retrouve aussi dans son travail d'illustrateur et de graphiste publicitaire auquel une salle est dédiée au sein de l'exposition. Dès son embauche au Vingtième Siècle, il réalise des affiches pour toutes sortes d'annonceurs. Toujours avec pertinence. "L'écriture est une forme d'expression possible, mais elle ne me convient pas : je suis avant tout un visuel, un homme d'image", dira-t-il à Numa Sadoul (Tintin et moi, Entretiens avec Hergé, Ed. Casterman, 1975).

Le 3 janvier 1934, il crée une structure spécifique qui rencontre un vif succès : L'Atelier Hergé-Publicité, avec la collaboration de son ami José De Launoit. Il abandonne un peu plus tard cette activité pour se consacrer entièrement à la bande dessinée mais cette expérience de publicitaire lui sera utile, notamment dans la composition des couvertures de ses albums.

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Les Aventures de Tintin sont clairement le chef-d'œuvre d'Hergé mais le reporter à la houppette n'est pas le héros de la rétrospective du Grand Palais. C'est bien le dessinateur visionnaire, considéré par son ami, le philosophe Michel Serres, comme "le Jules Verne du XXe siècle" (Journal du dimanche 23/10/11) qui est à l'honneur. L'hommage est mérité pour l'immense artiste qui s'est crée une famille capable de traverser le temps et les frontières : "Tintin (et tous les autres), c'est moi, exactement comme Flaubert disait : « Madame Bovary, c'est moi ! » Ce sont mes yeux, mes sens, mes poumons, mes tripes !...Je crois que je suis le seul à pouvoir l'animer dans le sens de lui donner une âme." (à Numa Sadoul dans Tintin et moi, Entretiens avec Hergé - Ed. Casterman, 1975).

L'exposition Hergé, comme celle consacrée à Gaston Lagaffe jusqu'au 10 avril 2017 au Centre Pompidou, participe à la légitimation de la bande dessinée si longtemps (et parfois toujours !) considérée comme un art mineur. Il faut s'en réjouir. Même si la BD est un art graphique auquel l'objet livre rend souvent mieux justice que les cimaises des musées, ces rétrospectives permettent une analyse des processus créatifs et un regard sur la genèse du travail des artistes dont on aurait tort de se priver.

 

 



GRAND PALAIS, GALERIES NATIONALES
3, avenue du Général Eisenhower 75008 Paris
Serveur vocal : 00 33 (0)1 44 13 17 17 
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Tag(s) : #Coups de coeur et curiosités

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