Trouver sa place avec Ella Balaert ?Trouver sa place avec Ella Balaert ?

"Denis Marescat au Grand Théâtre !", la première phrase de Placement libre (Ed. Des femmes - Antoinette Fouque), le dernier roman d'Ella Balaert, sonne comme une bonne nouvelle. L'héroïne de l'histoire a réussi à obtenir deux places pour la pièce qui doit se jouer quarante-huit heures plus tard. La perspective d'applaudir le comédien célèbre mais vieillissant constitue une "incroyable chance" pour elle. Aussitôt pourtant, un détail la chiffonne : il est indiqué "placement libre" sur les billets.

 

"Tu hais furieusement tout à coup ces deux mots, pourtant libre ce n'est pas rien, ça pourrait dire que les hommes sont égaux, ça devrait signifier qu'on se respecte, qu'on se choisit, et de nouveau chaque jour. Au lieu de ça, chacun ne pense qu'à soi dans un jeu de libre concurrence et ce qui te fait peur, c'est d'être la dernière, c'est cette possibilité n'est-ce pas ? Tu es de ceux qui n'arrivent nulle part les mains vides et pourtant dans tes mains percées, jamais tu ne parviens à retenir quoi que ce soit"

 

La lecture du "placement libre" sur les billets tant désirés ouvre une brèche en cette femme qu'Ella Balaert nous décrit de l'intérieur. Tension palpable. Une tempête sous un crâne. Si aucune place ne lui est attribuée pour le spectacle, il va falloir qu'elle bataille pour en obtenir une à la hauteur de ses espérances. L'exercice semble difficile, puis peu à peu, insurmontable. Car au-delà de la salle de théâtre, la question qui se pose pour cette femme anonyme, c'est celle de sa place dans tous les compartiments de la vie, et au cœur même du monde, littéralement.

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Rédigé à la deuxième personne, le roman entraîne le lecteur dans les affres d'un psychisme qui se fissure. Est-ce un narrateur extérieur qui de temps en temps la chahute, tourne en dérision ses doutes ou ses analyses ? Il semble plutôt que l'héroïne s'adresse à elle-même et quoiqu'il en soit, de son histoire, le "je" a disparu. "« Je est un autre », je est hors de toi, c'est pour cela que tu ne dis jamais je : c'est zone occupée, je, jusqu'en toi-même tu as cédé la place aux autres et résultat, au bras de fer des libertés, celle de l'autre est en fer et la tienne en terre, la tienne est enterrée."

 

Âgée de bientôt cinquante ans, elle vit seule depuis que son fils a quitté la maison, "parti à dix-huit ans, il a fait comme son père il est parti en claquant la porte et depuis quatre ans en plus du tien tu paies son loyer, c'est normal c'est ton fils c'est Jérôme". Qui donc perçoit l'affaissement physique et moral de cette femme à l'étude de notaires où elle travaille, au sein de son couple avec Pierre, dans la rue ou au milieu de ses amies ? "Tu n'as pas osé t'éloigner de l'image qu'elles ont de toi. On ne change pas comme ça la distribution des rôles dans un groupe."

Trouver sa place avec Ella Balaert ?Trouver sa place avec Ella Balaert ?

"Bienvenue dans le grand théâtre du monde". Ce Theatrum mundi dans lequel nous sommes tous pris, que cela nous plaise ou non, est un thème qui intéresse depuis longtemps Ella Balaert (Voir ICI mon article de 2011 sur son roman Pseudo, Ed. Myriapode). "Placement libre ça devrait être à chacun sa chance de trouver son lieu son petit espace à soi sans besoin de se marcher sur les pieds, on serait tous égaux sur la ligne de départ et d'arrivée ça pourrait être le cas. Mais ça ne fonctionne pas comme ça, sur aucune scène." Y-a-t-il une place pour chacun dans la compétition qui fait rage partout autour de nous ? Comment conquérir sa liberté dans une société qui nous assigne à paraître plutôt qu'à exprimer ce que nous sommes vraiment ?

 

Avec l'habileté et la précision qui la caractérisent, Ella Balaert noue un dialogue dans lequel le lecteur, attrapé de la première à la dernière page, peut percevoir toute son indignation "parce qu'en réalité, libre, non, tu n'as jamais trop su ce que cela signifie dans un monde où il y a des forts et des faibles, des riches et des pauvres, des premiers et des derniers rangs, des pots d'argile et des pots de fer..." Le constat est cruel mais à aucun moment l'écrivain n'invite au renoncement. Son texte, au contraire, encourage avec force à résister à la tentation - parfois légitime - de l'effacement...

Cliquez ICI pour accéder au site d'Ella Balaert

 

Tag(s) : #Coups de coeur et curiosités

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