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Après Franz-Olivier Giesbert, c'est un autre "patron de presse" qui était l'invité du groupe Sup de Co Amiens ce Jeudi 12 avril 2012. Journaliste, Christophe Barbier est le directeur de la rédaction du magazine L'Express. Il intervient également comme éditorialiste sur i>TELE et comme invité dans des émissions telles que C dans l'air sur France 5. Observateur privilégié de la vie politique, il a publié Maquillages - les politiques sans fard (Ed. Grasset) en février dernier.

 

Couverture Maquillages

Devant une salle comble et attentive, Christophe Barbier a livré son analyse de l'actuelle campagne présidentielle, "grand rituel démocratique qui met le pays en ébullition". Si d'aucuns jugent cette élection peu passionnante, le journaliste n'est assurément pas de ceux-là. Il en rappelle les attraits, à commencer par le suspense lors de la collecte des fameuses 500 signatures. Il évoque également les nombreuses incertitudes, tous ces "pronostics poussés par des vents divers" et le mélenchonisme, véritable phénomène de cette campagne.

 

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Si Christophe Barbier trouve la compétition intéressante, il relativise toutefois et admet que "le fond est un peu frustrant". Des débats ont eu lieu certes, mais un peu dans le désordre. De la viande Halal en passant par la réforme du permis de conduire, le nucléaire ou la fiscalité, les thèmes abordés n'ont pas manqué, surgissant parfois de façon incongrue. Christophe Barbier regrette LE grand débat qui n'a pas eu lieu et que tous les candidats "ont un peu fui" : celui qui concerne la dette. Nicolas Sarkozy a simplement évoqué la continuité de son action politique, et François Hollande a toujours cherché à ménager son aile gauche sur ce sujet.

Tous les candidats ont manqué de courage sur la question en éludant les mesures concrètes destinées à réduire les dépenses. Et pour lui, cela s'explique clairement par le fait que nous évoluons dans une démocratie d'opinion. Personne n'a eu le courage du risque électoral, sauf parfois François Bayrou, qui a immédiatement été sanctionné en perdant des points dans les sondages. Il y a donc une volonté chez les candidats, à commencer par Nicolas Sarkozy et François Hollande, de rester dans le flou concernant la souffrance qui sera imposée aux Français pour la diminution des déficits. Attendant de voir ce qu'ils vont trouver après leur élection éventuelle, "ils n'ont pas encore arrêté la liste des victimes" déclare Christophe Barbier.

 

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Le journaliste souligne le manque d'enthousiasme avec lequel une grande majorité d'électeurs se rendra aux urnes. A droite, la déception est palpable et on votera souvent pour Nicolas Sarkozy à reculons. Celui-ci ne perd rien de sa combativité et cherche sans arrêt sur quel terrain il faut aller, pour conquérir les électeurs.

A gauche, François Hollande ne fait pas non plus figure de candidat idéal. Il manque d'expérience, et se trouve perpétuellement dans la relativisation des annonces qu'il a faites. Les stratégies des deux hommes ont pourtant l'air de fonctionner. Concernant leur politique européenne, il y a la fermeté affichée lors des meetings, et la réalité avec laquelle il sera nécessaire de composer le moment venu. Nicolas Sarkozy et François Hollande auront probablement une position partagée de "convergence non traumatique avec l'Allemagne". 

Christophe Barbier remet cette élection dans son contexte européen : "tous les sortants ont été sortis". Il y a en période de crise, une "logique des peuples" à punir celui qui dirigeait au moment où ils ont souffert. Comme si s'exerçait une sorte de "fonction cathartique" à l'en rendre responsable, que ce soit le cas ou non. Pour l'adversaire, il est alors inutile de gagner : il faut laisser perdre. "La présidentielle n'est pas un examen, mais un concours" rappelle Christophe Barbier. Il suffit d'être le moins mauvais pour réussir.

 

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Si Nicolas Sarkozy est "un animal politique exceptionnel", François Hollande "a tout pour gagner sauf lui-même", dit-il. C'est un homme de la synthèse mais au fond, on ne sait pas qui il est. On vote pour lui surtout pour ce qu'il n'est pas (à commencer par Nicolas Sarkozy). Il compare la stratégie de François Hollande à celle du planeur qui se laisserait porter par les courants, sans manœuvrer et prendre le risque de la voltige.

Pendant ce temps, Nicolas Sarkozy se comporte comme un cycliste du Tour de France, particulièrement à l'aise dans la montagne, et prêt à accélérer chaque jour. Mais selon le journaliste, il a contre lui un anti-sarkozysme pluriel qu'il sous-estime. Celui de la gauche qui mène un combat agressif et dont l'arsenal s'est nourri depuis cinq ans, le "tout sauf Sarkozy". Celui de ses électeurs de 2007 qui ne voulaient plus voter pour lui, déçus par des mesures (ou non-mesures) précises, et dont Nicolas Sarkozy a attaqué les arguments "à la pioche" durant la campagne. Et enfin "l'anti-sarkozysme intime", plus mystérieux. Difficile à mesurer, il repose sur des problèmes ou un écœurement plus personnels. 
 

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Phénomène important et inattendu dans cette campagne, "formidable épopée politique" : le mélenchonisme. Ni planeur, ni cycliste, Jean-Luc Mélenchon serait plutôt "le chien dans un jeu de quilles" d'après Christophe Barbier. Son programme ressemble à une sorte de "ragoût idéologique". Remarquable tribun, il a élaboré un cocktail qui plaît, mais il a deux faiblesses. Premièrement, il risque la surchauffe. L'invective permanente doit laisser place à la raison. Ensuite, "Mélenchon ce n'est que Mélenchon" dit le journaliste. Il n'a ni appareil ni argent alors que "sans groupe, on ne vit pas dans le République française". Actuellement "otage du Parti Communiste, il sera probablement remercié après le premier tour" pense Christophe Barbier.

En ce qui concerne François Bayrou, il évoque des erreurs stratégiques : avoir cru qu'il pouvait "vampiriser la gauche" en 2007, puis que la droite déçue par Nicolas Sarkozy allait revenir vers lui en 2009. Il a eu tort, "aucun des deux camps ne s'est effondré à son profit". Marine Le Pen a pour sa part commencé la campagne en souhaitant dédiaboliser le FN et repartir sur des bases "plus propres, plus saines, plus modernes". Mais elle a manqué de crédibilité sur certaines questions techniques, et surtout perdu en chemin une partie de son électorat, celle "qui vote pour le plus méchant". Les gens qui souffrent ont besoin que leur voix soit entendue. Ils choisissent alors celui qui fait peur aux autres et qui crie le plus fort. Jean-Luc Mélenchon a séduit cet électorat. En réaction, Marine Le Pen s'est remise "à faire du Jean-Marie, elle est redevenue la méchante, quelqu'un d'infréquentable". (Cf. sa participation au bal de corporations pangermanistes à Vienne).
 

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Christophe Barbier évoque également les petits ou très petits candidats qui participent "au grand bal démocratique". Il y a "les sortis de nulle part et qui vont y retourner" comme Jacques Cheminade, Nicolas Dupont-Aignan dont "le discours est structuré", Eva Joly qui illustre parfaitement "le culte de la non performance" propre aux Verts depuis des années, Nathalie Arthaud qui incarne "l'extrême gauche méchante" tandis que Philippe Poutou serait plutôt "l'extrême gauche en peluche". Il souligne le stress monumental et la fatigue que représente aujourd'hui une campagne électoral, entre la multiplicité des médias et leur omniscience, grâce à Internet.

Sur le contexte difficile dans lequel évolue la France en cette période électorale, Christophe Barbier conclut que l'on a des "déficits insupportables et une dette colossale" et qu'il n'y a plus d'homme providentiel. "Il n'y a pas d'homme plus fort que la réalité. Il y a des organisations collectives qui nous rendent plus forts." A charge pour les peuples de retrouver une ferveur européenne qui pourra les emmener vers la sortie de cette crise.

Orateur brillant, Christophe Barbier a captivé la salle en décodant -non sans humour- la campagne présidentielle, et en la mettant régulièrement en perspective avec celle de 2007. A 10 jours du premier tour de l'élection, sans faillir à sa neutralité journalistique, il a apporté des éclairages intéressants à son auditoire. Verdict de cette campagne dans les urnes, le 22 avril...

 

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"Dans cet instant de faux, on voit le vrai. Au maquillage, chaque matin à la télévision, j'observe mon invité politique qui se réveille, reprend contact avec le réel, aiguise une petite phrase, fourbit une idée. La peau se maquille, mais le cuir ne ment pas. Plus tard, ailleurs, il y a les moments volés à l'actualité, sans précipitation ni téléphone : rencontres discrètes, confidences "off the record", complicités et engueulades."  (Maquillages)

 

Tout ce que vous devez savoir avant d'aller voter

Christophe Barbier a une autre corde à son arc, que l'on connaît certes moins. Il se consacre depuis 28 ans au théâtre amateur. Il sera sur scène aux côtés de Marc Jolivet lors du  spectacle Tout ce que vous devez savoir avant d'aller voter, co-écrit par les deux hommes ainsi que par Gérard Miller et Claude Posternak. Quatre représentations sont prévues Salle Gaveau les 20 et 21 avril, et les 4 et 5 mai prochains.

 

Spectacle

Marc Jolivet, Gérard Miller,
Christophe Barbier, Claude Posternak © Salle Gaveau

 

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18, place Saint Michel - 80000 Amiens
03 22 82 23 00
www.supco-amiens.fr

 

Tag(s) : #Coups de coeur et curiosités

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